- valoulef a écrit:
Je note les efforts faits sur l'orthographe par rapport à ce que tu nous avait présenté précédemment (j'allais même te corriger sur "déshonore" pensant qu'il y avait deux "n" mais en fait non). Il y a en revanche des fautes sur la lettre mais c'est peut-être voulu, il parait que l'orthographe des lettres de poilus n'était pas reluisant. En a tu lu pour t'inspirer ? Je ne sais pas si "il nous méprise, c'est un con" correspond vraiment au style épistolaire de l'époque, d'autant que c'était sûrement très risqué d'écrire ce genre de choses sur son supérieur dans les tranchées (et même le "bref !" après est très oral, je sais que les lettres que j'ai lues datant d'avant les moyens de communication modernes avait un style très écrit et codifié)... Après je me trompe peut-être.
Alors, je me permets d'intervenir parce que je suis justement allé voir une expo sur des lettres de poilus de la guerre 14-18.
Je ne suis pas du tout un pro pour autant, hein.
Cependant plusieurs choses m'ont marqué.
Déjà l
'écriture, il y a une forme d'écriture un peu standardisée et stylisée (ma déduction c'est qu'à l'époque tout le monde devait apprendre à former ses lettres de la même manière à l'école et l'écriture avec un stylo plume nécessitait probablement une technique particulière), enfin pour dire que l'écriture était propre, en italique, avec des lettres plutôt petites mais des belles majuscules et de belles boucles. Pas forcément simple à lire, mais plutôt propre. Ça m'a d'autant plus marqué que visiblement même le paysan de troufion-les-oies, il écrivait correctement (alors qu'il devait probablement parler un patois incompréhensible, à l'image de mes grand-parents paysans du Juras et des vieux du village, ma foué !)
Peut-être que ça gagnerait en réalisme de faire une police d'écriture à la main, très proche du style que je tente de décrire.
Enfin, je dis ça c'est du détails.
Au niveau de la forme, je dirais que c'était quand même assez littéraire, sans en faire trop, on sent qu'il y avait une sorte d'effort fait. C'est un fait, mon père qui était un ouvrier écrivait comme un pied avec une syntaxe horrible. J'ai pu lire des lettres de mon grand-père (pourtant lui aussi d'origine encore plus modeste) et c'était autre chose.
Il y avait des fautes de français et d'ortho, mais pas tant que ça.
Je me souviens aussi que parfois les soldats expliquaient qu'ils faisaient écrire leurs lettres par un autre. Ca peut aussi expliquer pourquoi les lettres étaient si propres et bien écrites.
Au niveau du fond, ça dépend de l'année, les lettres de 14 ne sont pas les mêmes que celles de 15 ou de 16
C'était principalement des nouvelles qui étaient demandées (de l'enfant en bas-age, des vaches, etc...)
La chose que j'ai retenue c'est qu'ils écrivaient tous les jours et râlaient lorsqu'il se passait plusieurs jours sans courrier.
C'était très fréquent de lire un truc du genre "Cela fait trois jours que je n'ai pas de courrier de toi, j'espère que tout va bien" ..etc !
On sent que le courrier était quelque chose d'essentiel.
Effectivement, il y avait de la censure et à ma connaissance, j'ai lu des plaintes du genre : je suis fatigué, je dors mal, tu me manques, les enfants me manquent, j'espère rentrer à temps pour les cultures...etc .Mais il y avait très peu de plaintes directes sur les consignes données par exemple ou de critique trop sévère des supérieurs. Et je doute que la censure laisse passer du contenu relatif à une arme secrète ou une future offensive.
La bouffe et le froid étaient des sujets très récurrents !
Comme je disais, les lettres de 14 sont plus joyeuses que celle de 16-17 etc... C'est évident aussi .
A partir de 15-16 les lettres foutent les larmes aux yeux.
Y'a une sorte de mélange de simplicité, de douceur et de pudeur qui contraste tellement avec les choses horribles qu'ils devaient traverser.
On sent aussi que les types sont blasés , épuisés, voire traumatisés, mais je ne sais pas s'ils ont le courage de relativiser ou bien si la censure tombait systématiquement, mais y'a quand même cette simplicité qui ressort.
Je ne sais pas comment expliquer ça ...
Disons que l'on lit la lettre d'un gars qui dit qu'il mange mal, qu'il espère rentrer bientôt, que sa femme lui manque, qui fait des folles déclarations enflammées parfois sur son amour, qu'il s'inquiète pour ses vaches, qu'il a espoir que tout ça finisse bientôt, qui demande aux enfants de bien écouter leur mère, mais qui reste tellement digne.Alors qu'on sait aujourd'hui qu'il doit vivre l'enfer inimaginable au moment où il ecrit... beh le gars il se plaint très peu au final. On dirait simplement un gamin en colo qui écrit à ses parents pour qu'il qu'il se fait chier, pas un gars qui participe à une boucherie. Il échange des banalités simples. C'est ce contraste qui m'a bouleversé durant cette expo.
Voilà, si ça peut aider.